Quatre mois seulement après leur entrée au CP, les petites filles décrochent en mathématiques alors qu'elles étaient à égalité avec les petits garçons au début de leur entrée en primaire. À quoi est dû ce décalage qui va s'accroître au fil des ans ? Une vaste étude menée sur près de trois millions d’écoliers français révèle que cet écart ne s’explique ni par l’âge ni par une imprégnation progressive des stéréotypes de genre.


au sommaire


    Égaux devant les mathématiques avec les filles à l'entrée en élémentaire, les garçons prennent l'avantage après seulement quelques mois d'école, selon une étude portant sur près de trois millions d'écoliers français, qui plaide pour une intervention précoce des enseignants et leur meilleure formation pour vaincre ce biais. Toutes les études internationales s'accordent sur le fait que filles et garçons ont le même sens des nombres avant d'entrer à l'école. Et qu'un écart ultérieur de compétences en la matièrematière dépend des cultures et conditions de tests, d'après un rapport de l'OCDEOCDE

    En France, cet écart de genre en maths et sciences à la fin du primaire est le plus fort des pays de l'Union européenne, selon une étude internationale. Par un effet de boule de neige, il ne fait que s'accentuer jusqu'aux études supérieures. L'étude, présentée mercredi dans la revue Nature, avec pour première autrice la médecin et docteure en neurosciences Pauline Martinot, est la première à se fonder sur un jeu de données « exceptionnellement grand », tiré d'EvalAide. 

    « Pour la première fois, dit-elle à l'AFP, on mesure cet écart de manière très précise : dès la première exposition à l'école élémentaire, après seulement quatre mois d'école, et sur près de trois millions d'enfants ». Lancé en 2018, EvalAide teste en mathématiques et français tous les entrants en école élémentaire : au début du cours préparatoire (CP), quatre mois plus tard et l'année suivante à l'entrée au cours élémentaire 1 (CE1).

    En France, cet écart de genre en maths et sciences à la fin du primaire est le plus fort des pays de l'UE, selon une étude internationale. © mgorthand, Getty Images
    En France, cet écart de genre en maths et sciences à la fin du primaire est le plus fort des pays de l'UE, selon une étude internationale. © mgorthand, Getty Images

    Différences quasi infimes en entrant au CP

    Sans surprise, ces données confirment le « gros impact » du statut plus ou moins favorisé des familles et des établissements sur les performances des enfants. Avec, dans l'ordre, le privé, le public et finalement les établissements prioritaires. 

    Mais le véritable enseignement est que, si à l'entrée en CP, filles et garçons ont des résultats « quasi identiques » aux tests de maths, un « écart petit, mais déjà hautement significatif, favorise les garçons » après quatre mois d'école, selon l'étude. Après un an, on compte plus du double de garçons que de filles parmi les 5 % des meilleurs élèves aux tests de maths.

    Écart confirmé sur les quatre cohortescohortes d'élèves étudiées à partir de 2018, pour un total de plus de 2,8 millions d'élèves. Avec la conclusion que le « phénomène couvre toutes les stratesstrates de la société, indépendamment du type d'école et de son genre de pédagogie, la situation des parents, la composition familiale, l'environnement scolaire et la localisation géographique », selon l'étude.

    Le stress et l'anxiété

    Supervisée par le neuroscientifique et professeur au Collège de France Stanislas Dehaene et le professeur en sciences de l'éducation Pascal Bressoux à l'Université Grenoble Alpes, ses auteurs admettent volontiers que ces données, descriptives, ne peuvent « pas être utilisées pour identifier la cause originelle de l'écart de genre ».

    Pour autant, certaines explications s'accordent mieux avec leurs constats que d'autres. S'ils écartent l'hypothèse de « différences fondamentales d'aptitudes en fonction du genre », ils retiennent par exemple que les filles souffrent d'une plus grande anxiété face aux maths, surtout dans le contexte compétitif d'un test.

    Voir aussi

    Jeu mathématique : pourquoi le nombre zéro est-il si important ?

    « Lorsqu'un test est stressant, l'anxiété des petites filles en maths leur fait perdre leurs moyens par rapport aux garçons », remarque Pauline Martinot. StressStress augmenté du fait que les opérations de numération sont désignées comme des « maths » à partir du CP. Un caractère formel susceptible d'inhiber les filles, et qui plaide pour une manière de « penser les exercices de mathématiques autrement, en réalisant bien plus de jeux autour de la discipline avant le CP », selon Pauline Martinot.

    Apprendre à enseigner les maths

    La dissémination de biais de genres par les parents pourrait aussi jouer un rôle, selon l'étude, au moment de l'entrée dans la vie scolaire. L'investissement plus grand des parents de catégories sociales aisées expliquerait ainsi l'apparition d'un plus grand écart de genre chez leur progéniture. Comme par exemple dans les familles dont les deux parents ont des métiers scientifiques ou dans l'enseignement.  

    L'étude écarte, sur la foi de ses données, des solutions portant sur la taille des classes, le ratio garçons-filles ou l'hétérogénéité de niveaux. Et encourage plutôt un effort de formation des enseignants, pour qu'ils accordent autant d'attention aux filles qu'aux garçons autour des maths. Mais pour qu'ils soient aussi mieux formés à cette discipline, pour « accroître leur confiance en soi et leur intérêt » dans la matière.

    Pauline Martinot évoque un biais du fait que « plus de 80 % des instituteurs sont des femmes », dont une majorité issue d'un parcours littéraire. Or, « une anxiété mesurée chez les enseignants femmes en maths sera directement corrélée à une anxiété en maths de petites filles de leur classe », remarque-t-elle.